Pierre Clémenti: révolte intérieure et expérience limite
Zanzibar, Le cinéma itinérant.
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Courant cinématographique fortement marqué par le minimalisme, le modèle visuel psychédélique, l’improvisation, le surréalisme, la raillerie, les thèmes mytho-poétiques et l’expérience performative.
Le groupe français Zanzibar est issu d’un projet commun formulé par de jeunes cinéastes, réalisateurs et techniciens à l’aube des années 70. L’ambition première affichait un réel désir de constituer un cinéma en «page blanche» par rapport au passé, s’écrivant et se produisant à partir d’un modèle «propre». Dans ses auto-productions à la fois curieuses, initiatrices et mythiques, Zanzibar défie et se joue des valeurs inquiétantes définies par les pratiques structurantes, conquérantes et répressives fabriquées par la société occidentale moderne. L’époque est propice aux expérimentations, débordements et audaces de toute sorte. Cette idée «moderne» de la révolution même (les évènements de mai 68) favorise la sortie du cadre institutionnel de l’œuvre d’art et de la conformation aux règles fixées par les stratégies utopiques de l’occident capitaliste.
Les artistes et auteurs du groupe ont tracé sur les cahiers des réalisations cinématographiques quelques unes des trajectoires les plus surprenantes et originales, dépourvues de toute logique fixiste et raisonnable. Zanzibar a composée une page blanche des pratiques itinérantes, progressives en vue de changer le «sens» de la réalité. Cette écriture cinématographique sera le résultat d’un travail politique, critique autant qu’esthétique et mystique.
La voix du groupe s’est tout d’abord exprimée durant le festival de jeune Cinéma de Hyéres en 1968. Cet évènement verra la rencontre des membres qui composent l’équipe parmi lesquels:
Alain Jouffroy (le mentor du groupe), Philippe Garrel, Patrick Duval, Daniel Pommereulle, Jacki Raynal,
Pierre Clementi…Nombre des artistes convoqués appartiennent à la «nouvelle vague», certains seront nommés de «dandys de mai 68». C’est Serge Bard, étudiant à Nanterre en ethnologie qui ouvre le passage avec un film indiscret et critique dénonçant le système unviersitaire en vigueur. L’étape décisive sera la rencontre avec Sylvina Boissonas qui financera les films, une trentaine entre 1968 et 1970, organisant également une expédition à Zanzibar (ile maoiste d’Afrique de l’Est). Le courant situationniste, les tragédies cocasses du langage forumlées par Duchamp, les thèses de Lacan influencèrent la première tendance de ce cinéma perspectiviste. Les expositions pour galeries d’art réalisées par Marial Raysse et Daniel Pommereulle encourageront l’engouement collectif pour la nouveauté. Les éléments picturaux feront d’ailleurs leur apparition dans des montages filmiques, organisés comme un ensemble cohérent de «tableaux vivants» imprégnés d’une véritable dimension iconique, symbolique et lumineuse.
Les films sont dans leur majorité tournés en 35 mm. Néanmoins le traitement technique accordé reste élaboré et particulièrement travaillé. Les œuvres sont couramment filmées en plans fixes, admettant très
peu de figures et composantes, brouillant également le clivage entre champ et hors champ traditionnellement prisé par l’industrie du cinéma classique.
Une part non négligeable est accordée au travail d’improvisation des acteurs. Tous les éléments aléatoires, accidentels ou fruits du hasard sont captés et montrés sur écran. Le scénario reste minimal, profitant à d’importants travaux de compositions centrés sur le geste créatif et les rapports affectifs et
énigmatiques entres les protagonistes.
Ces films sont très théatralisés, lents, contemplatifs, quasi muets et bercés dans une lumière parfois religieuse. L’errance, le déplacement, la quête intimiste de la marche animent nombre de films (notamment ceux de Philippe Garrel). Ces films développent une aura dramaturgique portant sur les
évènements réels mais également imaginaires de la vie.
P.B
Pierre Clémenti: révolte intérieure et expérience limite
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«La quête du défi » caractérise en quelque sorte toute l’œuvre de Pierre Clémenti dont le talent d’écriture et de composition atteindra une reconnaissance ultime dans la période charnière de la fin des années 1960, ceci au point d’élever l’artiste au rang d’icône de la contre culture française. Outre le fait d’avoir joué pour de nombreux
grands réalisateurs du cinéma d’auteur
dont Luchino Visconti (Le Guépard), Luis
Bunuel (Belle de jour), Pier Paolo Pasolini (Porcherie), Philippe Garrel (La cicatrice intèrieure), Pierre Clémenti a également été derrière la caméra afin de mettre en scène ses obsessions intellectuelles, politiques et poétiques. Les films de Pierre Clémenti témoignent d’une contemplation quasi mystique de la réalité, d’un cinéma d’errance et de déchéance, révélant des exercices «spirituels» et «sensoriels» intenses. C’est par le biais du caractère profondément sacré de la vie pure, par l’intermédiaire de rêves hallucinés que Pierre Clémenti cherche à dévoiler le véritable essence de tout homme. Ses films sont une «expérience de la réalité» dressant des passerelles entre engagements politiques, polémiques et retour sur soi. L’image est communication, intrusion dans le monde et sa réception exige une expérience compréhensive mais également une expérience impossible du dépassement par l’envoûtement. Pierre Clémenti est un poète du désespoir, recherchant à travers les formes de dépassement de soi, la transgressions des codes / conventions établies à atteindre une expérience mystique, seule expérience possible pour libérer la vie que la société a voulu enfermée, étouffé, rendre méconnaissable.
Visa de Censure – 1967
«Rencontre de l’image et des pulsions psychiques caractéristiques de cette époque acidulée». Par le rythme optique et la prolifération infinie des lignes, courbes et formes, Clémenti cherche à faire jaillir
des puissances primordiales, divines…S’épanouit un cinéma dans lequel les symboles alchimiques abondent, nous renvoyant à l’origine de nous même. Dans cette initiation ou rituel / procession
psychédélique à base d’archétypes visuels, le spectateur échappe à ses propres limites.
New Old – 1978
Film narratif, autobiographique, confession intime sur fond d’images hétérogènes participant à une poésie critique, de lumière, mettant en scène les concepts de création, de monde extérieur quotidien et de vie intérieure de l’homme comme «lieu-refuge» au règne le sacré.
Extrait d’un entretien accordé à Pier Paolo Pasolini (ref. «Ecrits sur le cinéma, petits dialogues avec les films», petite bibliothèque des cahiers du cinéma, 42: 10-11)
«Le temps détruit la pureté»
Moi : Tu es terriblement semblable dans la réalité et dans le cinéma. Et en même temps, tu es terriblement différent. Comment l’expliques-tu?
Pierre: Parce que plus je rentre en moi-même, et plus je rencontre des choses que je ne connais pas. C’est pourquoi lorsque je sui devant la caméra, je suis «moi-
mêmeen recherche». Il y a beaucoup de différences, d’autre part, entre réalité et cinéma: car le cinéma est un des nombreux moyens de représentations de la réalité. Avec un film, on peut reconstruire un monde, dans la réalité c’est plus difficile. Cependant, le cinéma est un des instruments qui peut
ramener l’homme à la réalité.
Moi : Pourquoi ? Tu penses que les hommes ne vivent pas dans la réalité?
Pierre: Si, si, mais je pense que la télévision et toutes les autres institutions (disons les mass médias) éloignent l’homme de la réalité
Moi : Franco Citti dit que la réalité est pureté
Pierre: Oui, c’est vrai mais le temps détruit la pureté. Le cinéma exerce beaucoup de fonctions, pour qu’un film exerce une fonction de pureté…pour faire du cinéma pur il faut prendre des personnes pures. Ce que ne fait certainement par le cinéma commercial
Moi : Et que représente alors le cinéma commercial ?
Pierre: C’est un somnifère. Il est fait pour une société occupée à digérer. Il est fait pour les hommes vulgaires qui croient les autres vulgaires.
Moi : Quelle serait, selon toi, la manière idéale de faire du cinéma?
Pierre: Faire un voyage qui aurait pour but ultime la vie et la mort. Par exemple, partir avec une équipe d’hommes qui ont les mêmes besoins, les mêmes aspirations, etc, et parvenir à faire une création assez forte pour dépasser la réalité…
Moi : Partir pour où?
Pierre: Et bien, l’homme fait son voyage seul, cela c’est la réalité. Dieu, la patrie, la famille, etc, c'est- à-dire les habitudes, c’est la faute de cette solitude. Il reste alors deux solutions: ou prendre un fusil et tirer, ou prendre une caméra et faire du cinéma: Ainsi, on va au-delà de la solitude.
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Rayn
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Le Lit de la vierge
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Zanzibar, Le cinéma itinérant
Pierre Clémenti: révolte intérieure et expérience limite